Le
Départ
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Tableau Impressionniste : « Le Train dans la Neige » de Claude MONET |
Il
fait gris ce matin là. La neige, partout, comme si un peintre eut
enlevé toutes les couleurs de sa toile. Je reste sans bouger sur le
quai. Le train est prêt à partir.
Je
me souviens très bien encore, de ce jour là. J’avais à peine six
ans. Mon frère m’avait amené voir le « spectacle » du
départ des trains. J’étais stupéfaite ! Je n’avais jamais
vu quelque chose d’aussi incroyable : des boîtes roulantes
remplies de gens ! J’observais ces gens comme si je venais
d’avoir des yeux. Ces gens qui partaient vers l’indépendance,
vers cet autre monde qu’on avait tellement envie de connaître.
Désormais, on allait, voir les trains, tous les soirs. Un jour, il
me parla de nos parents. Il dit « Eux, ils sont partis. En
vacances, chez le seigneur ! Ils ont tellement aimé ce
manoir qu’ils ont décidé de ne jamais revenir. » J’étais
vraiment bouleversée et je me sentis rejetée. Nous deux, on rêvait,
un jour, de prendre ce train et de partir. Partir loin. Partir loin
de cet enfer où nous ne connaissions personne qui nous aimât.
Maintenant
je suis prête. Il ne nous reste qu'à acheter des billets. Je
l’attends, mon frère. Pourtant je sais qu’il ne viendra pas. Aujourd’hui je comprends bien cette histoire, alors
incompréhensible. Cette fois-ci je suis seule sur ce quai. Le train
s’éloigne. Ce bruit, qui était une fois une symphonie de liberté,
n’est plus qu’un bruit. Pour la première fois, je sens ce
chagrin, cette mélancolie que donnait l’hiver.
Partout
autour de moi, des gens. Les gens qui bavardaient, gloussaient et
riaient. Au cœur de cette foule je me sens si seule ! Je
regarde les gens dans le train qui criaient « bisous » à
leurs proches sur le quai, qui se retenaient de pleurer. Les derniers
baisers, les derniers câlins, les derniers mots avant de partir.
Partir,
ce mot me glaçait le sang. Il me donne toujours cette peur
singulière. Cette peur de rencontrer les gens, de m’attacher à
eux, de les aimer, parce que de toute façon, la vérité va me
gifler : Leur départ. Ils partiront tous, un jour ou l’autre.
Alors, je me suis rappelée que je ne connaissais plus personne dans
ce monde. La seule personne qui songeait à moi, avait confiance en
moi, m’aimait ! Il est parti. Enfin, lui aussi il aimait le
« seigneur » plus que moi. Tout le monde m’a quittée !
Qu'avais-je donc fait de si coupable pour mériter ce terrible
abandon ? Ou ce bon dieu, était-il si satanique pour me
condamner un tel malheur ?
Tandis
que toutes ces questions se bousculaient dans ma tête, j'entendis quelqu'un dire « Bravo ! ». J’essuyais les larmes sur mes joues. J’avais
pleuré ! Je m'étais tellement identifiée à mon personnage
inspirée par la peinture de Monet que pour quelques minutes je
m'étais projetée sur ce quai de gare impressionniste. Assis en face de moi, mon éditeur me sortit de mon histoire, ramena mon
esprit dans son bureau, où j'étais venue lui présenter ma dernière
nouvelle, en s'exclamant « Bravo ! J’adore ton
historiette ! Elle est vachement bien ! Dis donc, tu veux
bien la publier ? Le mardi, rubrique « Littérature »,
ça te dit ? »
Sruthi
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